Déo HAKIZIMANA?

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Photo prise par M. Lucien Fortunati, la "Tribune de Genève"
Déo Hakizimana, né à Kiganda, Burundi, en 1954. Fils de Gahungu, un paysan laborieux qui m'a donné le goût de la liberté et la force de ne toujours compter que sur soi-même, ("Le Monde", 10 octobre 1989). Je suis un enseignant devenu journaliste, homme politique, diplomate et spécialiste d'études stratégiques. Je suis le président fondateur du CIRID, Centre Indépendant de Recherches et d'Initiatives pour le Dialogue, www.cirid.ch, une ONG africaine et internationale basée à Genève, en Suisse, bénéficiaire d'un statut consultatif auprès des Nations Unies.

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REFELXION A HAUTE VOIX SUR LA SITUATION DIPLOMATIQUE DU BURUNDI A LA VEILLE DU PRINTEMPS 2010


1. Quel feu couve entre Bujumbura et les chancelleries ?

Le conflit rampant qui semble opposer depuis au moins l’été dernier une partie des membres de la communauté internationale à l’establishment au pouvoir à Bujumbura ne fait pas la une des journaux, malgré son importance dans le contexte actuel. Pourtant les faits demeurent têtus.
Nous faisons référence par exemple à la déclaration récente du ministre de la Sécurité publique, qui renvoie aux milieux diplomatiques la responsabilité d’avoir diffusé ce qui est présentée comme une fausse alerte relative à une probable mutinerie généralisée au sein des forces de défense et de sécurité.
Monsieur tout le monde y comprend peu de choses. Mais pour les Burundais avertis, l’on devrait commencer à s’interroger et plus tôt cela va commencer, par exemple en suivant les traces du « Projet Cadres de dialogue », mieux ce sera.
Pourquoi ? On ne posera jamais assez une telle question.

Remontons seulement à l’été dernier. A l’époque, la polémique entre les ténors du système dirigeant en place et les lobbyistes ou chancelleries de l’Union Européenne a fait rage. Suite à une fuite d’information véhiculée par le website Arib.info, il était entendu, à travers un rapport coordonné e par le Bureau du représentant spécial de ce qu’il faut bien appeler l’ancienne « Europe des Douze » et reproduit in extenso par ce média électronique, les inquiétudes liées aux dérapages qui aujourd’hui dérangent de temps en temps le déroulement normal du processus électoral étaient pointées du doigt.
La veille, l’International Crisis Group (ICJ) basée à Bruxelles avait publié, comme à chaque moment pivot de l’évolution politique de notre pays, un rapport circonstancié. Via son bureau de Nairobi, l’ICJ attirait la haute attention sur les faits rappelés dans sa publication du 12 février dernier.
Le parti présidentiel y a vu une sorte de complot manichéiste, dirigé contre lui, en connexion avec une partie de la classe politique de l’opposition.

Un vase débordé sur fond d’un départ forcé
Ce conflit a pris les allures d’un malentendu profond lorsque vous avez appris, comme moi, dans la plus grande précipitation et dans la confusion, l’expulsion de l’ex-représentant exécutif du secrétaire général des Nations Unies.
Ce n’est plus un secret de polichinelle : le départ forcé du Pr Mahmoud Youssef a été un événement sensible. Il a fait mal au Palais de verre de New York, car il s’est déroulé sur un fonds de « miss-information » et ce fut d’autant plus préoccupant qu’il s’agit d’une répétition. En quatre ans, en effet, notre gouvernement a déclaré indésirables trois représentants spéciaux des Nations Unies.
Et chaque fois, entre la version officielle servie par les voix autorisées et les commentaires des éditorialistes privés, l’on détecte l’existence d’un vrai problème de communication entre notre Gouvernement et nos amis de la diplomatie internationale.
Ainsi, dans l’ambiance tendue entre l’Etat et une frange importante de son élite, celle de Bujumbura en l’occurrence, la nouvelle convulsion renferme une charge qui ne peut faire oublier que Bujumbura sait entretenir un flou saisissant, qui profite d’ailleurs aux spécialistes du sensationnalisme et de la rumeur et qui savent surtout gagner la partie, dans ce pays des « non-dits ».
Autre curiosité : la perception à courte vue de ceux qui pensent, souvent à tort, que nous avons une communauté internationale qui « nous » en veut. Cette myopie ou ce déficit dans la maîtrise des enjeux font courir évidemment le grave risque de porter atteinte à la pérennisation d’initiatives porteuses. Le beau projet « Cadres de dialogue », péniblement engagé durant ces deux dernières années en a fait les frais, malgré les perspectives réjouissantes qu’il promettait, y compris en faveur de ceux qui l’ont injustement attaqué.

Les lendemains d’un point de presse révélateur
Pendant ce temps, par vils calculs, il se pourrait qu’il y ait, dans les salons feutrés de Bujumbura, des stratèges qui nagent dans les eaux troubles, allant jusqu’à penser que cette confusion leur apporte une opportunité pour récupérer, s’il y a dérapages, les dividendes du processus électoral en cours.
C’est ce que j’ai personnellement compris dernièrement lors des arrestations hollywoodiennes des présumés coupables de janvier dernier, qui comparaissent devant la justice au motif d’avoir tenté de menacer la sécurité des institutions.
Qu’il se soit agi d’un vrai complot ou d’un montage, peu importe la version à adopter, car il n’y a pas de fumées sans flammes. Le flou dont je parlais tout à l’heure vient de connaître un nouveau rebondissement, puisque nous sommes au lendemain de la conférence de presse du Président du Parti présidentiel.
Pour tout dire, cet exercice a un sens surtout depuis ce mardi 16 mars : un reportage lapidaire, discret, mais suivi de tractations étonnamment importantes, a fuse sur les antennes radios de Bujumbura ; il a cité les propos du ministre de la Sécurité publique, auteur d’une sortie médiatique apparemment organisée dans l’urgence. Le général Bunyoni a dit que des milieux diplomatiques ont diffusé une fausse alerte sur de possibles atteintes à la stabilité suite, dit-on, à une crainte de mutinerie généralisée dans l’armée.
Cette information ne doit pas faire simplement jaser puisque quelques citoyens instruits par les événements passés ont été saisis de panique, surtout à Bujumbura, comme du temps des opérations « villes mortes » de 1995-1996.
Il n ne faut pas minimiser le fait que nous sommes dans un contexte où bien des dossiers sensibles et récurrents non traités restent pendants. Qu’il s’agisse donc des « entre-mangeries » liées aux rivalités pré-électorales marquées par la dispersion des énergies dans le paysage politique illisible, qu’il s’agisse encore des grèves ou manifestations de mauvaise humeur ici et là chez les travailleurs, y compris dans les organisations internationales et dans l’enseignement sans parler du contentieux opposant le gouvernement à ses soldats et policiers sur la question des indemnités impayées depuis des lustres, etc., le pas est vite franchi vers la crainte réelle d’un débordement. Le Pr Mbonimpa, notre compatriote burundo-canadien (parlant de « calmer le jeu ») pourrait revenir ici et parler comme moi, des porteurs de projets « vautours » opérant dans la plus grande confidentialité, mais présents dans toutes les évolutions en cours en attente d’un faux pas calculé pour s’engouffrer dans ce désordre.
Bref, rien ne sert de cacher la fumée : Bujumbura a su ces dernières années ouvrir des fronts partout et c’est assez indicateur que les autorités en arrivent à ouvrir les hostilités dans les relations entre le gouvernement et la communauté internationale.
Etant donné la spécificité des moments que nous traversons ainsi que les signaux réels annonceurs de radicalisation si aucun effort n’est tenté pour limiter les dégâts, nous ne devrions pas nous laisser leurrer par les échanges de civilités propres aux usages diplomatiques, qui cachent la vraie ambiance du terrain.
Non. Le devoir nous oblige d’appeler à la retenue d’abord. Puis à la transparence de la réflexion sur ce point.


2. Un phénomène qui piège tout le monde
Car, derrière toutes les craintes réelles ou supposées affichées au sujet de ces relations difficiles entre cette communauté internationale et notre gouvernement, il existe de mon point de vue un constat amer, sur lequel il convient de s’entendre avant tout.
Pour que l’on en arrive là, qu’est ce qui a dû se passer concrètement ? Eh bien, on a vu se développer un cercle vicieux porteur d’un phénomène qui piège tout le monde : pour commencer, c’est l’impunité des crimes répétés qui a généré la gangrène de la corruption étatisée que l’on sait. Il en a résulté l’émergence d’une élite de plus en plus inconstante, donc parfois médiocre.
Pire cette élite, surtout depuis les lendemains difficiles de l’assassinat du Président Ndadaye, laisse les victimes et les bourreaux d’hier et d’aujourd’hui se côtoyer, échangeant des rôles et se protégeant mutuellement, à chaque changement de régime, dans un manichéisme particulièrement grave et face auquel nombre d’activistes de la société civile perdent les pédales, malgré la bonne foi dont ils disent se réclamer. Je reviendrai un jour sur cet aspect.
En attendant, soulignons que tous les camps en présence sont concernés par cette dérive, surtout depuis l’avènement de la Troisième République à qui on peut reprocher d’avoir conceptualiser la technique de servir l’Etat en le trahissant. Par la stratégie du double langage, certains arrivent même à faire croire qu’ils sont sur la bonne voie et qu’il n’y pas moyen de faire mieux ! Du moins, eux ils s’en convainquent et veulent qu’on les croit au mot.
Une impitoyable collusion compromet ainsi le travail de notre communauté internationale, qui est elle-même, de temps en temps auto piégée par sa propre opacité, par ses propres manquements ou par ses propres contradictions, que les Rwandais ont connus en 1994.
Si nous avons encore le sens du respect envers les laisser pour comptes de cette tragédie, qui ne sont autres que nos électeurs de mai-septembre prochain, nous devons cesser toute tergiversation et faire en sorte que les ténors de l’échiquier politique actuel s’engagent fermement vers un débat public (je dirais plutôt un dialogue ouvert) sur ce dilemme. S’ils ne le font pas, ils mentent à l’avenir et nous le savons ; surtout nul ne n’aura plus le droit de dire plus tard qu’il ne savait pas.
En passant le temps à se lancer des invectives, à se faire mutuellement peur ou à boutiquer des complots tactiques entre elle, notre élite a tout d’abord failli au devoir qu’elle a d’organiser le travail (de prévoir l’avenir de nos enfants en réglant, avec par exemple une volonté politique avérée, ce pitoyable conflit qui sévit depuis huit ans entre le gouvernement et nos enseignants).
Au-delà, il est bon de s’entendre sur cette heure de vérité en posant les bonnes questions sur la base de bonnes analyses : ce qui était perçu il y a peu comme un conflit hutu-tutsi ou comme une crise entre des régions (Bururi contre Muramvya dans le temps, « Kamukingo », comme l’a écrit avec humour J.M. Sindayigaya pour regretter certains verrous venant du Nord contre les autres aujourd’hui) est finalement perçu comme une sorte de crise entre l’Etat et le citoyen honnête. Que celui-ci soit de la campagne ou de la ville, de l’intérieur du pays ou de la diaspora.
Dans ce sens, il faut comprendre d’ailleurs que le processus électoral actuel fait les frais de cette médiocrité partagée. Car, à supposer qu’il y avait, comme le pensent certains, pas toujours à tort, des intérêts étrangers qui interfèrent de manière déterminante dans ce processus, ce serait faire une insulte à notre peuple si l’on en arrive à oublier les acquis des bientôt 50 ans.
L’électorat qui a voté en faveur du parti de Rwagasore contre le Front Commun en 1961, c’est lui qui a signé la défaite de l’Uprona en 1993. C’est le même électorat qui, en 2005 a sanctionné le Frodebu à son grand étonnement. Et cet encore lui qui, bien que blessé et déçu, est toujours là, observant et tentant de comprendre, dans une quiétude toute traditionnelle, que des gens pressés ne saisissent pas. Cet électorat-là a même grandi et développé ses capacités de projection, voire son envie de ne plus se laisser instrumentaliser, contrairement à ce que d’aucuns pensent.
Notez bien : c’est encore cet électorat-là qui va voter. Pas les millions de francs qui circulent dans les mallettes des propagandistes partisans, encore moins ceux que l’on soupçonnerait de soutiens occultes, qui manient un double langage rôdé, roulant pour des « hidden agendas » (agendas cachés) et qui ont peur d’une compétition loyale.

Les projets « vautours » attendent leur tour
Dès lors, la double vraie question suivante mérite d’être posée sur la base du mot « vautours », utilisé à dessein , dans un paragraphe ci-dessus : le Burundi saura-t-il limiter les dégâts potentiels que les projets « vautours » sont en mesure de provoquer ? A-t-on suffisamment compris que depuis le « Rwanda 1994 » il se trouve quand même quelque part à Bujumbura et au-delà de nos frontières, y compris dans certaines capitales dont certains se méfient (pour des raisons complexes), des activistes – peut-être minoritaires, mais identifiables - qui jurent de faire échouer la logique du chaos ?
Pour moi, s’il y a une inquiétude, elle viendrait du fait qu’il n’y a pas grand monde pour soulever concrètement ce type de questions de fonds et je suis surpris de me rendre compte que quelques plumes donneuses de leçons restent muettes sur ces deux questions.
Il nous faut donc pour terminer, dans le cadre d’un débat politique apaisé, une dynamique qui fait mentir d’éventuels stratèges de la provocation. Ce n’est pas encore tard, si le temps suscite des vocations rapides en matière de médiation et de dialogue permanent pour s’interposer dans cette cacophonie.

Déo Hakizimana, 18 mars 2010.
d.hakizimana@cirid.ch - Blog : http://hakizimana-deo.blogspot.com

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